Les trois mille fantômes. Pointe Gias Inférieure 3000,59m.
Cette pointe secondaire du Pic de Gias est située à environ 80 mètres à l'est du sommet principal. Cela fait des années que nous doutons de sa proéminence et de son altitude. Les mesures effectuées les 16 août et 22 septembre 2023 par les membres du groupe Sostremetries ont permis d'affiner les données et on peut désormais affirmer, sans aucun doute, que nous sommes face à une nouvelle pointe qui répond aux exigences pour être inscrite sur la liste de trois mille.
L'élévation en question a été visitée en août 2012 par Jesús Mari Linaza et en septembre de la même année par Luis Mata, les mesures effectuées étaient supérieures à 3000m mais n'ont pas permis de déterminer si cette élévation respectait la proéminence requise. À cela s’ajoute l’altitude de 2994m donnée par le SITAR, de telle sorte que cette altitude est donc restée sur notre liste de points en attendant de futures vérifications.
La double pointe du Gias est bien visible depuis le col du même nom, passage entre les vallées de Gias et de Pouchergues, mais elle ne semble avoir retenu l'attention de personne. Une seule référence bibliographique est tirée par les cheveux. Josep de Tera i Camins, dans ses guides Posets-Perdiguero, tant dans sa version catalane (Montblanc, 1994) qu'espagnole (Prames, 1999), signale les deux crêtes qui partent du sommet du Pic de Gias : au sud se développe la crête de las Fitas et au sud-est l'éperon qui soutient notre pointe et qui ferme le bassin du lac de Gias. Un itinéraire a été tracé en 1976 par F. Guzmán et J. Murciano sur cet éperon en traversant la pointe qui nous intéresse, bien qu'elle ne mérite pas d'être mentionnée par les auteurs.
À propos du nom donné : Pointe Inférieure, l'équipe Sostremetries a fait une référence concernant le sommet principal, dénomination avec laquelle nous sommes d'accord. Il est peut-être intéressant d'expliquer ici ce que nous avons trouvé concernant le toponyme quelque peu obscur de Gias. Juli Soler i Santaló a noté en 1907 son apparition sur les cartes françaises et qu'il s'agissait d'un nom inconnu dans la vallée de Benasque. Cette désignation semble provenir de la carte des "Pyrénées Centrales" de 1892, œuvre de Franz Schrader, où le nom est appliqué au lac : "L. de Gias". C'est à partir de 1953, avec la publication du "Guide de la région d'Aure et de Luchon" d'Armengaud et Comet, que le toponyme Gias commence à être appliqué au col qui s'appelait jusqu'alors Pouchergues, car il relie la vallée d'Estós avec cette vallée française. Dans ce guide, le sommet est également nommé Pointe Cécile-Isabelle ou Gias, en mémoire des deux filles de Saint-Saud qui réussirent la première en 1906, avec l'autorisation de Maurice Gourdon qui monta peut-être au sommet en 1885. Et après la publication en 1958 du guide CEC Possets-Maladeta d'Armengaud et Jolís, le nom de Gias s'est imposé dans toutes les publications ultérieures. Ángel Ballarín Cornel a utilisé le toponyme en 1968 dans son travail sur la vallée de Benasque. Robert Aymard, en 1989, explique la signification du toponyme : "Diverses explications nous ont été proposées. Gias est un val tributaire d'Estos; or 'gia', 'gies', en bénasquais, signifierait branche. Autre thème possible, celui de 'gel' (orig.lat.), aragonais 'gelar', gascon 'gela' évolué en 'giura'; de même 'gelas', amas de gel, aurait pu donner 'gias'. Noter toutefois la forme 'gia > chia' classée prélatin par Corominas".
Ce qui semble clair, c'est qu'il faut écarter le nom Tuca de O pour ce pic car cela conduit à des malentendus, puisque le pic qui marque le passage vers la vallée d'Oô est le Pic du Port d'Oô O ou Arlaud, et non ce pic qui, en tout cas, devrait indiquer la direction de Pouchergues. Quant à la forme "Chies", elle doit signifier la même chose que Gias. Comme le souligne Aymard, la glace doit en être l'explication ; dans le passé le lac aurait été gelé une bonne partie de l'année, sans exclure la possibilité d'un glacier qui aurait déjà disparu dans la combe sous la brèche de Gias. En réalité, les deux cols qui débouchent sur cette vallée, Gias/Pouchergues et Port d'Oô, n'étaient pas très fréquentés anciennement, seulement par des gens intrépides : quelques bergers et/ou contrebandiers en faisaient un usage sporadique, et leurs versants nord étaient alors défendus par de vastes masses de glace.
Nous reproduisons intégralement ci-dessous les notes techniques de la mesure que Sostremetries nous a transmises.
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L'ÉQUIPE
Sostremetries est une équipe de cinq ingénieurs topographes techniques qui profitent de leur expérience professionnelle et de leurs instruments topographiques pour, pendant leur temps libre, déterminer l'altitude des sommets qui suscitent un certain type de débat, notamment ceux qui approchent les trois mille mètres d'altitude.
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LE MOTIF
Le secteur des Gourgs Blancs et Clarabides abrite les trois mille plus occidentaux du massif du Perdiguero. À seulement trois cents mètres au sud-est du Pic de Clarabide se trouve le Pic de Gias, un nœud à trois arêtes très saillant et qui figure depuis toujours sur la liste des trois mille des Pyrénées. Mais une petite pointe qui se détache à l'est du sommet principal se trouve à la limite, à la fois du seuil des trois mille mètres et de la proéminence minimale, pour être incluse dans la liste.
Actuellement, sur toutes les cartes topographiques consultées, la pointe orientale apparaît comme un point d'élévation sans nom. Selon les recherches menées par Patxi Termenón du groupe Chasse-fantômes, la seule mention d'un nom apparaît dans un guide de randonnée Tera i Camins de 1999, mais le nom de lieu qui lui est attribué (Gías Sur) ne semble pas très précis géographiquement (1). . Comme il a une altitude nettement inférieure à celle du sommet principal et surtout pour éviter une éventuelle confusion avec le nom de 1999, nous ferons référence dans ce rapport au sommet secondaire avec le nom de Gias Inférieur.
Comme c'est le cas pour la plupart des sommets des Pyrénées, l'altitude du Gias Inférieur dépend de la cartographie consultée.
Dans la Carte Topographique de l'Aragon à l'échelle 1:5000 (MTA5) de l'Instituto Geográfico d'Aragon (IGEAR), la cartographie officielle de la zone, est attribuée une hauteur de 2994,48 m et le col qui la sépare du sommet principal, 2982,04 m. Comme nous le verrons plus tard et que nous avons également pu vérifier dans d'autres domaines, la proéminence de MTA5 semble assez précise, mais les deux élévations semblent avoir un déplacement vertical systématique trop marqué pour une cartographie à l'échelle 1:5000.
Sur la Carte Topographique Nationale à l'échelle 1:25000 (MTN25) de l'Instituto Geográfico Nacional (IGN), est attribuée une hauteur de 2999 m et de 2989 m au col. Dans ce cas, la proéminence serait le minimum indispensable pour entrer dans la liste, mais l'élévation n'atteint pas les 3000 m.
Depuis 2009, le projet PNOA-LIDAR coordonné par l'IGN met à disposition du public un nuage de points obtenu grâce à un capteur LiDAR aéroporté. Dans ce secteur des Pyrénées, le nuage de points a une densité approximative (au fond des vallées) de 0,5 point/m2 et chaque point a une précision théorique en hauteur sur surfaces planes d'environ 15 cm. Dans un rayon de 5 mètres autour du sommet, 56 points de plus de 2999 m ont été enregistrés et un seul point dépassant 3000 m, plus précisément 3000,22 m. Ce point LiDAR est situé à environ un mètre au SE du point culminant réel. Compte tenu du relief abrupt du sommet, la précision est estimée bien inférieure aux 15 cm théoriques. De plus, rien ne garantit que ces points n’ont pas rebondi sur un cairn ou un terrain délité.
Aucune de ces sources d'informations cartographiques n'offre une précision suffisante pour déterminer si le Gias Inférieur répond aux critères d'altitude ou de proéminence.
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LA PROPOSITION
À l'été 2023, Sostremetries décide de résoudre le débat grâce à une mesure topographique in situ, apportant une plus grande précision à l'élévation et déterminant sur le terrain le point culminant. La proposition consiste à déterminer l'altitude orthométrique de l'élément naturel et stable le plus élevé du sommet du Gias inférieur à l'aide d'un récepteur GNSS professionnel et d'un nivellement géométrique. L'altitude est calculée par rapport au système de référence verticale en Espagne matérialisé par le réseau de nivellement de haute précision (REDNAP). Plus précisément, le modèle de géoïde EGM08-REDNAP est appliqué, qui est un adaptation du modèle gravimétrique global EGM2008 au REDNAP réalisé par l'IGN en 2009.
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L'EQUIPEMENT
Pour réaliser cette tâche, Sostremetries a utilisé les instruments topographiques suivants, fournis par la société Leica Geosystems :
• Récepteur du système mondial de navigation par satellite (GNSS) :
o Antenne multifréquence et multiconstellation Leica Viva GS16
o Contrôleur Leica Viva CS20
o Précision théorique2 du levé en temps réel avec solution réseau (RTK) :
▪ Horizontale : 8 mm + 0,5 ppm
▪ Verticale : 15 mm + 0,5 ppm
o Précision théorique (2) du levé statique avec observations à long terme :
▪ Horizontale : 3 mm + 0,1 ppm
▪ Verticale : 3,5 mm + 0,4 ppm
• Niveau optique :
ou Leica NA720
o Visée de nivellement télescopique avec une résolution de 2 mm
o Grossissement : 20x
o Précision visuelle à 30 m de distance selon le fabricant : 1,5 mm
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LA MESURE
La première étape consiste à déterminer le point culminant de l’élément naturel et stable le plus élevé du sommet. Les terrains délités sont écartés ainsi que les éléments artificiels tels que les cairns de pierre, les limites municipales, les croix, les monuments, les plates-formes en béton et même les repères géodésiques.
La détermination du point le plus élevé s'effectue à l'aide du niveau optique. C'est un instrument qui projette des vues sur un plan horizontal et, grâce à la différence de lecture, permet de mesurer la différence de niveau entre deux points avec une précision de quelques millimètres. Le niveau est installé sur un trépied approximativement à mi-chemin entre les éléments à comparer et toujours au-dessus des points à niveler. Le sommet sera l'élément qui présente la plus petite différence de niveau par rapport au plan horizontal défini par le niveau.
Sur certains sommets comme le Gias Inférieur, le point culminant est le sommet supérieur d'un rocher trop pointu pour y installer directement un récepteur GNSS. Dans ces cas, la solution qui offre une plus grande précision est de se positionner sur un élément stable à proximité, d'y faire l'observation GNSS à long terme et enfin de mesurer la différence d'élévation de la base au point. Une fois positionné, une observation est effectuée en mode statique pendant 30 minutes, enregistrant les observations de phase pour un calcul ultérieur.
Pour mesurer la proéminence, une deuxième observation GNSS est effectuée sur le col qui présente une pente minimale provenant de tout terrain plus élevé en altitude que le sommet en question. Dans ce cas, il s'agit du col qui sépare le sommet principal du Gías du Gías inférieur. Compte tenu de la morphologie du col, une mesure directe GNSS a été possible.
La mesure finale a été réalisée le 22 septembre 2023.
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LE POST-PROCESSUS
Le calcul des coordonnées géodésiques à partir des observations a été réalisé au bureau à l'aide du programme Infinity de Leica Geosystems. Les lignes de base ont été calculées par rapport au CSOS (20,3 km) du Réseau de Géodésie Active d'Aragon (ARAGEA) et ESCO (41,4 km) du réseau CATNET de l'Institut. Cartographie et géologie de la Catalogne. Ces deux stations ont été fixées lors du réglage final, cependant les stations BARY (Réseau GNSS Permanent de l'IGN France) et SABI (ARAGEA) ont été écartées car elles ne proposaient qu'une solution GPS (elles ne permettent pas le multi-constellation). Pour le calcul, une fenêtre d'observation de 30 minutes est disponible avec des enregistrements toutes les 5 secondes et des signaux aux fréquences L1, E1, B1, L2, B2, L5, E5a, B3, E5b, e5ab et B2a.
La hauteur de l'antenne de mesure au niveau du col est de 0,834 m et celle de la base de nivellement au sommet est de 0,887 m. L'écart type en élévation du réglage, tant pour la mesure au niveau du col que pour la base de nivellement au sommet, est de 3 mm.
La dernière étape consiste à appliquer l'ondulation du géoïde. L'estimation de l'ondulation est obtenue par interpolation bilinéaire sur le modèle géoïde EGM08-REDNAP aux coordonnées du sommet.
En supposant que les normales à la surface du géoïde et celle de l'ellipsoïde sont approximativement coplanaires, l'élévation orthométrique est généralement obtenue directement en soustrayant ladite ondulation de l'élévation ellipsoïdale.
• Altitude ellipsoïdale ETRS89 : 3054,47 m
• Ondulation du géoïde (EGM08-REDNAP) : +53,88 m
• Altitude orthométrique : 3000,59 m
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MESURES PRÉLIMINAIRES
Le 16 août 2023, une mesure préliminaire de l'altitude du sommet et de la proéminence du col a été réalisée. Sostremetries a de nouveau bénéficié de la collaboration de Miquel Soro Martí, expert dans ce type de campagnes de mesures. Il y avait également la compagnie de Marta Moncunill Palà, Josep María Sala Micola et Higinio Rodríguez Fernández. Les mesures ont été effectuées en temps réel à l'aide d'une solution réseau (RTK). Cette technique n'est pas aussi fiable que la version post-traitée, mais elle permet d'obtenir des précisions généralement meilleures que 10 cm dans la plupart des cas. Dans le cas du Gías inférieur, la différence entre cette mesure et le résultat final était d'un peu plus de 1 cm.
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LE RÉSULTAT
Selon les mesures et calculs post-traitement effectués par l'équipe Sostremetries, la valeur la plus probable de l'altitude orthométrique de Gías est de 3000,59 m et l'altitude du col qui la sépare du sommet principal est de 2987,12 m. Les deux altitudes ont une précision estimée à 3 cm. La la proéminence résultante est de 13,47 m
(1) TERA I CAMINS, Josep de. "Itinerario 130". Guías excursionistas, Llardana/Posets-Perdiguero Vol.1 Batisielles, Llardana/Posets, Gris/Eriste. Zaragoza, Prames, 1999, p.170.
(2) Précision selon les spécifications du fabricant, sans occlusions et dans des conditions de constellation optimales, culminant par un nivellement géométrique.
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En outre, les membres de Sostremetries ont effectué des mesures sur les sommets du Clarabide Occidental, 3007,44m et du Petit Pico de Portillón, 2998,66m, constatant que tous deux ne remplissent pas les conditions pour être inclus dans la liste des trois mille. Le premier dû au manque de proéminence, 9,12 m et le second au fait de ne pas atteindre l'altitude requise. Par conséquent, nous mettons à jour la liste des tresmiles avec ces trois nouveaux résultats. L'altitude inférieure à 3000m a également été vérifiée à la Pointe Célestin Passet, 2998,49m et à Frondella SW., 2999,00m, ainsi que les sommets de Piedras Albas, 2997,63m, Cregüeña, 2994,21m et Salenques, 2994,81m
Références:
-SCHRADER, Franz. Pyrénées Centrales avec les grands massifs du versant espagnol (Feuille 5 Cotiella, Turbón). Gravé par Erhard, 1882-1892.
-GOURDON, Maurice. “Le Grand Pic de Batchimalle (3178m)". In: Explorations Pyrénéennes. Bulletin Trimestriel de la Societé Ramond, Bagnères de Bigorre, Vingtième année 3/1885.
-SAINT-SAUD, Aymard de. "Une semaine au Lac de Pouchergues". In: Bulletin Pyrénnéen nº59, sep-oct 1906.
-SOLER I SANTALÓ, Juli. "Una excursio al Posets-Lardana 3367m. Pirineus d'Osca". In: Butlleti del Centre Excursionista de Catalunya, nº167, Any XVIII, dic-1908.
-SOLER I SANTALÓ, Juli. "El port d'Oo. De Benasque a Bagnères de Luchon. Alts pireneus d'Osca". In: Butlleti del Centre Excursionista de Catalunya, nº191, Any XX, dic-1910.
-ARMENGAUD, André et COMET, François. Pyrénées IV, Guide de la region d'Aure et de Luchon, Privat Editeur, Toulouse, 1953.
-ARMENGAUD, André. JOLÍS, Agustín. Posets-Maladeta. Editorial Montblanc CEC, Barcelona, 1958.
-BALLARÍN CORNEL, Ángel. El valle de Benasque. La Editorial, Zaragoza, 1968.
-VILA, Ricard. "Crónica alpina". In: Muntanya, nº699, Any CII, CEC, Barcelona, oct-1978.
-AYMARD, Robert. Toponymie des "Trois Mille". Uzos, 1989.
-TERA I CAMINS, Josep de. Posets-Perdiguero Vol.1 Gorgs Blancs, Lliterola i Remunye. Editorial Montblanc-Martín, Barcelona, 1994.
-TERA I CAMINS, Josep de. Guías excursionistas, Llardana/Posets-Perdiguero Vol.1 Batisielles, Llardana/Posets, Gris/Eriste. Prames, Zaragoza, 1999.
-ALFONSO, Luis. Escaladas junto al Ésera, volumen 2. La noche del loro, Zaragoza, 2010.
-BOSCH, Rosa. "El Gías Inferior, un nou tresmil al Pirineu". In: La Vanguardia, 29 de septiembre de 2023.
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