Pic ou Tuca de Mur : L’histoire d’un patronyme.
En 2017, la "Consejería de Vertebración del Territorio, Movilidad y Vivienda" du Gouvernement Aragonais, par l’intermédiaire de la "Comisión Asesora de Toponimia de Aragón", a publié les nouveaux noms officiels qui devaient désormais désigner les sommets aragonais de plus de 3.000 mètres. Au total, 160 nouveaux noms dont l’origine demeure un mystère huit ans plus tard. Certes, la source est connue : la maison d’édition PRAMES. Ce qui reste inconnu, sont les justifications de cette refonte toponymique, un cas typique de « le fait du prince », caractéristique de certaines mentalités. Un obscurantisme sans précédent, où la communauté des alpinistes a été délibérément exclue de toute consultation, voire de toute possibilité d’exprimer son avis.
Cependant, entre tellement de gangue, un joyau brille d'un éclat particulier. Malgré le travail pas malin de la Commission, une étude externe a été nécessaire pour éclaircir le nom du Troisième Sommet Occidental de la Maladeta.
Dans le numéro 301 de la revue Pyrénées, correspondant au premier trimestre 2025, Mathias Lobera présente, dans un article intitulé « Manuel Mur Ferrer dit Anselmo : un homme, un guide, un pic… », la genèse et les conséquences de cette étude. Nous en présentons ici les aspects les plus pertinents.
Le double sommet, composé de deux petits pics qui ferment la chaîne de la Maladeta au couchant, s'élève au-dessus du col de l'Alba supérieure, qui sépare les Maladetas des sommets de l'Alba. Bien que jamais escaladée, elle fut nommée « les Sœurs de la Maladeta » au XIXe siècle par Eugène Trutat et « les Deux-Sœurs » par Maurice Gourdon, cette dernière appellation faisant référence aux deuxième et troisième sommets occidentaux (Sayó et Mur). Ce nom ne s'est jamais imposé.
Sa première ascension fut probablement celle de Louis Falisse le 16 juin 1903, qui gravit toute la crête jusqu'à la Maladeta. Selon son récit, Maurice Gourdon, en 1879, n'atteignit que les Deuxième et Premier Sommets Occidentaux (Sayó et Cordier).
Le nom qui apparut dans le guide Posets-Maladeta d'Agustín Jolís et André Armengaud, publié par le CEC en 1958, connut un plus grand succès : « Troisième Sommet Occidental de la Maladeta ». Les auteurs estimaient que ces sommets à l'ouest du Pico Cordier (Premier Sommet Occidental de la Maladeta) méritaient d'être davantage connus, ouvrant ainsi la voie à un futur baptême.
Ce fait dut attendre jusqu'en 1985, lorsque Feliu Izard publia le premier cahier recensant les sommets de plus de 3 000 mètres, et choisit le nom de « Punta d'en Mir ». Feliu reprend un nom cité dans l'ouvrage de 1958 du CEC Posets-Maladeta, un nom mentionné comme étant José Mir et/ou Manuel Mir. Benasqués, qui, avec José Sayó et José Delmás, a exercé comme guide de montagne dans le massif de la Maladeta au début du XXe siècle.
Le nom « Mir » donné au sommet a été consigné par Juan Buyse dans ses listes à partir de Feliu en 1986 et définitivement intégré à son ouvrage « Los tresmiles del Pyrineo » (Les Trois Mille des Pyrénées) en 1990. Depuis, c'est sous ce nom que le sommet est connu.
Les recherches de Mathias Lobera ont confirmé l'absence du nom de famille Mir à Benasque et dans la vallée durant ces années. Cependant, l'examen du registre du sommet de l'Aneto a révélé la présence d'un Manuel Mur qui a servi de guide à Ramiro Busquets à plusieurs reprises, en compagnie de José Sayó. La consultation des registres paroissiaux de Santa María de Benasque a confirmé qu'un certain Manuel Mur Ferrer, né en 1862, pourrait être la personne recherchée. De plus, il s'est avéré qu'il était connu sous le nom d'« Anselmo », du nom de sa maison, hérité de son grand-père, Anselmo Mur Cereza. Dans certaines ascensions consignées dans le livre du sommet de l'Aneto, un guide nommé « Anselmo » apparaît également.
Outre son métier de guide de montagne, Manuel Mur exerçait les fonctions d'huissier, de crieur public, de sonneur de cloches et de fossoyeur à Benasque. Il décéda le 4 août 1937, à l'âge de 75 ans, selon l'état civil de Benasque.
Les conclusions de cette étude furent communiquées en 2016 à la "Comisión Asesora de Toponimía" aragonaise et intégrées au « Proyecto Tresmiles », donnant naissance à la Tuca de Mur. Cette reconnaissance officielle fut chaleureusement accueillie par les descendants de Manuel Mur, qui organisèrent une célébration privée le 1er septembre 2019 à l'Hôpital de Benasque. Une ascension fut entreprise le 9 avril 2025 par les frères Sergio et Miguel Ángel Plaza Lomillos, arrière-petits-fils de Manuel Mur, accompagnés de Sergi Sánchez Domingo, membre de l'équipe de secours en montagne de Benasque (GREIM), afin d'y déposer une plaque commémorative.
Pour notre part, cette étude nous convainc d'adopter le changement de nom proposé et documenté et d'accepter le nom de Pico Mur, toponyme avec lequel nous mettons à jour notre liste des sommets de plus de 3 000 mètres.
Bibliographie :
-TRUTAT, Eugène. "Les glaciers des Pyrénées. Station de la Dent de la Maladetta. Le glacier de la Maladetta vu de la Pena Blanca". In: Annuaire du C.A.F. 1876, Paris, Hachette, troisième année volume III, 1877, p.480.
-GOURDON, Maurice. "Le Pic des Sœurs (première ascension) et la Pic Occidental de la Maladetta (octobre 1879)", In: Bulletin de la Société Ramond, Sixième année, Troisième trimestre de 1881. Bagnères, 1881, pp.87-90.
-"Registre de les ascensions efectuades al Pic de la Maladeta (3312m) en els anys 1899-1919". In: Butlleti del Centre Excursionista de Catalunya, nº312, Any XXXI, CEC, Barcelona, gen-1921, pp.9-10.
-ARMENGAUD, André. Jolis, Agustín. Posets-Maladeta, Barcelona, Editorial Montblanc CEC, 3ªed. 1968.
-RITTER, Jean. Le Pyrénéisme aux Pyrénées Centrales. Maurice Gourdon 1847-1941. Imprimerie Fabbro, Montréjeau, 2008, p.133.
-LOBERA, Mathias. "Manuel Mur Ferrer dit Anselmo: un homme, un guide, un pic...", In: Pyrénées, nº301, Lourdes, 2025, pp.20-43.
-RUIZ ANTORÁN, Sergio. "La gloria eterna de Manue Mur", In: El Periódico de Aragón, 15-ago-2025. https://www.elperiodicodearagon.com/deportes/2025/08/15/gloria-eterna-manuel-mur-120651759.html
FTer
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire